La Pologne, une division territoriale marquée par une histoire mouvementée
L’assassinat du maire de Gdansk, Pawel Adamowicz, en plein jour, le 14 janvier dernier, a suscité une grande vague de solidarité et d’indignation dans la société polonaise. Pourtant, il a également rappelé sa très forte polarisation entre libéraux et conservateurs, une polarisation qui a une dimension territoriale marquée. Ainsi, au cours des dernières élections, on a pu remarqué un fossé évident entre le nord-ouest et le sud-est du pays. Si les racines de cette polarisation remontent à l’histoire mouvementée de la Pologne depuis la fin du XVIIIe siècle, les origines en sont plus complexes que ce qui est souvent affirmé.
Un fossé historique entre le nord-ouest et le sud-est
La disparition progressive de l’Etat polonais sous le coup des partages successifs entre le royaume de Prusse (devenu ensuite l’empire allemand) et les empires austro-hongrois et russe en 1772, 1793 et 1795, a contribué à forger trois entités aux caractéristiques économiques et sociales très différentes, malgré une identité nationale commune. La persistance de cette partition dans les comportements électoraux des Polonais étonne pourtant du fait des importants mouvements de population qui ont caractérisé cette région à l’occasion des deux conflits mondiaux. En superposant les cartes électorales de la Pologne à sa division territoriale jusqu’en 1914, on observe que le vote libéral se concentre essentiellement sur la partie anciennement intégrée à l’empire allemand. L’idée d’une expérience de la démocratie plus poussée dans cette zone est souvent avancée, elle ne correspond toutefois pas à la réalité. Si la Pologne russe n’a effectivement pas connu de véritable vie parlementaire avant 1918, la démocratie prussienne n’était pas très égalitaire. C’est l’empire austro-hongrois qui affichait le caractère le plus démocratique. Pour autant, la Galicie (anciennement austro-hongroise) est une terre traditionnellement conservatrice.
Le poids des structures économiques et sociales
En réalité, les causes qui expliquent ce phénomène sont davantage liées à la structure foncière, à l’activité économique, à l’importance accordée à la religion, ainsi qu’au lien social qui en découle. Les structures foncières ont connu des divergences majeures au XIXe siècle. Tandis que la Prusse imposait une réforme agraire visant à constituer des propriétés agricoles compétitives et efficaces en rassemblant les terrains, Russes et Austro-Hongrois cherchaient avant tout à briser le pouvoir de l’aristocratie polonaise, tiré avant tout de la propriété foncière. En Pologne prussienne, cette réforme entraîna à la fois un exode rural important qui contribua à la formation d’une classe ouvrière substantielle et à la constitution d’une main d’œuvre agricole nombreuse. D’une part, cette zone était ainsi plus réceptive aux idées socialistes. D’autre part, l’essor des centres urbains et d’un système capitaliste intégrant villes et campagnes favorisa l’acceptation du libéralisme économique. Dans le reste de la Pologne, l’agriculture conserva un rôle de subsistance et nourrit des valeurs conservatrices d’autosuffisance.
En effet, il y fut accordé, comme l’affirme Tomasz Zarycki, une place prépondérante à ce que Bourdieu appelle le capital économique, c’est-à-dire le crédit social tiré de l’activité économique. Dans les parties russe et austro-hongroise, les capitaux culturel (lié à l’éducation et l’activité intellectuelle) et social (lien forgé par l’appartenance à certains groupes sociaux) occupent une place majeure. On observe, en effet, l’essor d’une élite intellectuelle dans ces deux parties, liée au fait que l’activité administrative et l’activité économique étaient monopolisées par les puissances occupantes. Cette élite développa un corpus de valeurs nationales, souvent conservatrices, qui irriguent encore cette partie de la Pologne. Le poids de la religion y est également très fort. En Galicie, le catholicisme fut protégé par Vienne, tandis que dans le Royaume du Congrès (Pologne russe), le catholicisme devint l’expression de la résistance à la russification, comme il le sera à l’égard du communisme. Le catholicisme traditionnel ainsi fortifié se manifeste par une méfiance accrue vis-à-vis des partis libéraux, tels Plateforme Civique, souvent accusés de compromission avec les communistes, et de l’Union européenne, critiquée pour sa prétendue renonciation aux valeurs traditionnelles européennes. La sécularisation ancienne du nord-ouest de la Pologne la rend, au contraire, plus réceptive à des politiques socialement libérales.
Sources :
Mariusz Kowalski, Electoral Geography in Poland, 1999
Tomasz Zarycki, The electoral geography of Poland: between stable spatial structures and their changing interpretations, 2015
Zbigniew Rykiel, Polish electoral geography and its methods, 2011